Prendriez-vous le risque d’investir sur un marché dont vous ignorez plus de la moitié des fondements ?

Imaginez qu’on vous dise que plus de 50 % de l’économie mondiale — environ 40 000 milliards de dollars — dépend directement des services d’un unique fournisseur. Un fournisseur qui n’envoie pas de factures, n’a pas de contrat et dont l’état de santé est, en grande partie, un mystère pour les marchés.

Ce fournisseur, c’est la nature. Et sa détérioration n’est plus une conversation réservée aux écologistes ; c’est le sujet central dans les salles de conseil et sur les tables des gestionnaires de risques. La perte de biodiversité est devenue, silencieusement, le prochain grand défi pour la stabilité financière mondiale, un défi plus complexe et, d’une certaine manière, plus irréversible que le changement climatique lui-même.

“Il y a une différence cruciale entre le changement climatique et la perte de biodiversité : alors que le dioxyde de carbone peut être éliminé de l’atmosphère… l’extinction est éternelle.”

Bienvenue à la nouvelle frontière du risque et de l’opportunité. Bienvenue dans le monde de la finance de la biodiversité.

Le Risque Aveugle : Un Écart de Plusieurs Centaines de Milliards

Des secteurs entiers de notre économie, comme l’agriculture, la pêche, le tourisme et l’industrie pharmaceutique, dépendent d’écosystèmes sains pour fonctionner. Une étude du Forum Économique Mondial et de l’ONU l’a clairement indiqué : plus de la moitié du PIB mondial est modérément ou fortement exposée aux risques liés à la perte de la nature. Pourtant, l’investissement pour protéger ce capital vital est infime.

On estime que l’écart entre les investissements actuels dans la conservation de la biodiversité mondiale (entre 124 et 143 milliards de dollars par an) et ce qui est réellement nécessaire pour freiner son déclin d’ici 2030, est d’environ 700 milliards de dollars chaque année.

Ce chiffre n’est pas abstrait. C’est le coût de l’inaction. C’est la valeur du risque que nous ne mesurons pas. Le manque d’outils et de données pour quantifier ce risque est si profond que, jusqu’à très récemment, les principales revues académiques de finance ne comptaient pas une seule étude sur la manière de valoriser les risques liés à la biodiversité ou d’organiser les flux financiers nécessaires pour les atténuer.

Amérique Latine : Le Cœur de la Richesse et de la Vulnérabilité

Nulle part ailleurs ce paradoxe n’est plus évident qu’en Amérique Latine et dans les Caraïbes (ALC). La région, qui abrite l’une des plus grandes réserves de biodiversité de la planète, fait face à des défis socio-économiques structurels, comme une faible productivité qui, en 2023, ne représentait que 33 % de celle de l’OCDE. Cette faiblesse économique est aggravée par sa dépendance à son capital naturel.

L’immense capital naturel de l’ALC n’est pas seulement un trésor écologique, mais un avantage compétitif latent. Des projets comme les échanges de dette contre nature en Équateur et les obligations bleues dans les Caraïbes démontrent que la région est à l’avant-garde de la création de solutions financières innovantes. Cependant, pour développer ces initiatives et attirer les capitaux privés massifs nécessaires, il est impératif de répondre à une question fondamentale : comment mesurer de manière crédible la valeur et le risque de ces actifs naturels ?

La Première Étape : Rendre l’Invisible Visible

Le problème de la biodiversité est, par essence, un problème d’information. Les marchés ne peuvent pas valoriser ce qu’ils ne peuvent pas mesurer. Les investisseurs ne peuvent pas gérer un risque qu’ils ne peuvent pas quantifier.

C’est là que commence notre mission. Pour que le capital s’oriente intelligemment vers la conservation, nous devons traduire la complexité des écosystèmes en métriques claires, auditables et financièrement pertinentes. Nous avons besoin d’un pont entre la science écologique et l’économie financière.

Dans notre prochain article, "Du Discours aux Dollars : L’Écosystème Émergent de la Finance de la Biodiversité", nous explorerons les instruments et les cadres qui façonnent déjà ce nouveau marché.

Mais la première étape, la plus cruciale, est d’accepter que la nature a sa place au bilan. Chez ArdhiVal, nous nous consacrons à construire les outils pour définir cette place. Il ne s’agit pas de mettre un prix sur la vie, mais de reconnaître la valeur des systèmes qui la soutiennent pour assurer notre propre prospérité.

ArdhiVal : Des Faits qui Transforment, une Valeur qui Croît.

References

  • Karolyi, G. A., & Tobin-de la Puente, J. (2023). Biodiversity finance: A call for research into financing nature. Financial Management, 52, 231-251.
  • OCDE/CAF/CEPAL/Comisión Europea. (2024). *Perspectivas económicas de América Latina 2024: Financiando el desarrollo sostenible.
  • PNUD (Programa de las Naciones Unidas para el Desarrollo). Este artículo hace referencia a conceptos e hipótesis sobre el valor de la biodiversidad como ventaja competitiva y motor de desarrollo, ideas promovidas por el PNUD y otros organismos en diversos informes sobre valoración económica y capital natural.
  • Foro Económico Mundial (WEF) en colaboración con PwC. (2020). Nature Risk Rising: Why the Crisis Engulfing Nature Matters for Business and the Economy.